Dames de chœur,
Le bruit des autres, 2004

Extrait

L’impatiente gesticulation des flammes des bougies se répercute dans tous ses membres. Couché nu sur le rivage du tapis, le regard absorbé par le visage en forme de cœur, au teint pâle, aux yeux lointains, la salive pareille au vin renversé dans la laine inondant la grotte chaude de sa bouche, il attend, fébrile, l’armée du plaisir. Le désir bâtit dans le désert de son corps une citadelle de sable et de sexe. Il tend sa main vers le chaton espiègle d’une cheville qui le frôle, et ses doigts ne saisissent que le bas de la robe qui glisse et tombe comme un grand mouchoir noir à ses pieds, libérant les globes transparents des seins, le ventre blanc, l’éventail enluminé de la toison.

Elle lui parle, mais il ne voit pas ses lèvres emportées elles aussi dans un danse lointaine :

Ce que tu désires en moi, tu ne l’obtiendras pas, mais ton désir est plus fort que le manque, puisqu’il est le désir de ce manque. Ton désir est désir de connaître l’échec de la possession. C’est sa force. Les paumes de nos ventres battant l’une contre l’autre tenteront de différer la fin de la cérémonie du désir qui se joue derrière nos paupières. Je vais jouir sur toi dans la détresse triomphante de nos corps essorés. Et puis tu m’oublieras. Et puis tu t’oublieras. 

Le ciel semblait ne devoir jamais se lasser de cracher sur le paysage. Une pancarte que je n’avais pas remarquée à l’aller indique le monastère à 0,6 km.

Ne presse pas le pas, ferme les yeux, cultive la cécité

me dis-je.

Contre ma volonté, le retour au monastère s’est effectué d’un pas de plus en plus rapide, de plus en plus précipité, sous une pluie de plus en plus pluie.

Enfin, je retrouve ma chambre. « Ma » chambre, possessif trahissant le léger soulagement que j’éprouve, déjà, de me retrouver chez moi. Le lit, les murs, le parquet en point de Hongrie, la table  de formica avec mes objets personnels jetés dessus : un univers à ma mesure, rétracté, limité, simplifié. Intime. Malgré l’heure triste et ma parka trempée, je me sens bien. Et quand retentit dans le couloir la stridence qui annonce les vêpres, j’éprouve le même soulagement que j’éprouvais, enfant, quand on m’appelait, du bas de l’escalier en colimaçon qui menait à ma chambre, pour le dîner.

L’odeur du sexe glisse sous sa peau comme un peigne dans la chevelure d’un ange.  Le désir monte comme du lait, depuis les genoux vers le haut des cuisses. Elle est nue, offerte, ouverte. Elle l’enjambe et l’enjambe encore, comme une fillette sautillant au-dessus d’une flaque d’eau. Elle passe et repasse au-dessus de lui, chaque fois découvrant le bec d’oisillon affamé de son sexe qui s’ouvre et bâille, humide et rouge. Puis elle vient sur lui comme un navire se couche sur le haut-fond de l’océan. Elle pose sa bouche sur ses lèvres, frotte son sexe sur son ventre où le membre bat la mesure. Puis elle pivote et présente son cul au-dessus de son visage, comme si elle s’apprêtait à pisser. Il ferme les yeux, ouvre la bouche, aspire une gorgée d’humeur. Alcool de femme au chant incandescent.

 

L’âme n’est pas ivre de ce qu’elle a bu,
mais bien ivre, et plus qu’enivrée,
de ce qu’elle n’a pas bu et ne boira jamais.

 

Hadewijch aux lèvres brûlantes.