Arraché,
avec une gravure aquarellée de Marc Giai-Miniet,
Les éditions du nain qui tousse, 2013

Tout ce qui est possible arrive ; n’est possible que ce qui arrive.
Franz Kafka, Journal du 6/01/14

tu portes en toi tant de passé
de vies que tu n’as pas vécues
en toi assassinées

je voudrais me souvenir mais ne me souviens pas
avec la pioche ébréchée de mes mots je creuse
dans le tuf mou de ma mémoire
parfois un éclat d’anthracite explose

le temps s’effondre plus personne
pour rechercher nos corps nos dépouilles
reconnaître nos restes
arrachés
pétrifiés
inhumés dans l’éternité
que nous n’avons pas
creusée
le monde remué
cogne au vide qui l’entoure

le monde est un objet mou
le monde n’est pas un signe
le monde ne se lit pas
ne se déchiffre pas

la ville hurle comme d’habitude.
la folie coule à flots dans les rues
les veines ouvertes du Vésuve
ombres carbonisées
la dernière chaleur

la cité nous avale nous recrache
nous vomit
nous errons
dans la nuit des temps liquides
alignés ces mots dans le noir
torches tenues à bout de bras
chaque pas ânonné
trop souvent trébuchée

je voudrais me souvenir mais ne me souviens pas
avec la pioche ébréchée de mes mots je creuse
dans le tuf mou de ma mémoire
suant de désir
de rage
parfois un éclat d’anthracite explose
le champ de mines du silence

emportée la jambe gauche de la vie
futur estropié
l’horizon haché
soleil parti
vers d’autres rivages
pour d’autres visages

Treigny, mai 2013