L’invention du paysage,
avec des peintures de Michel Déjean, Lieux-Dits éditions, 2016

Extrait

« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. »

ils sont partis comme ça c’est peut-être la nuit c’est
peut-être le jour – ils n’ont pas encore ouvert
les yeux – et leurs sandales soulèvent une fine poussière
d’os qui leur entre par les narines et tous les pores  – leur peau
devient le parchemin d’une aventure indéchiffrable
les fanons de leurs cils protègent leurs pupilles
du vide et de ses dangers
la terre est plate sous leurs pas – parfois
ils trébuchent sur de fines hachures de sable
éblouissant et de terre d’ivoire 

– ils avancent

dans une peinture très ancienne
ils vont en ligne droite à la recherche d’une improbable perspective
espérant l’horizon

(il y eut peut-être ici un monde)

 Ils sont partis avec toujours les mêmes guides
à leur tête ceux qui les ont depuis toujours
égarés ceux-là même qui effacèrent de leurs yeux
le paysage
et asséchèrent sur leurs lèvres crevassées 
la parole du paysage
et crevèrent les yeux du poème
et le tympan des dieux 

Fuyant  la céramique du désert
partant vers de plus obscurs horizons
ils avancent dans le temps
comme des éléphants dans la neige
pour s’y figer à jamais

deviendront-ils l’ombre de leur ombre
parce que le temps ignore le soleil ?