Épouvantails,
éditions Lanore – Alchimies poétiques, 2002

Extrait

DANS LES VALISES DE DIEUX

PROLOGUE

Un trou s’ennuyait quelque part.
Le vide s’ennuyait partout.
Un jour le vide rencontra le trou.
Rien ne fut changé dans le cycle des marées.

 Je suis entré dans ce monde par le trou de serrure d’une valise et depuis j’ai vécu la vie-voyage que l’on sait. Curieusement c’est Dieu lui-même qui me convia à le suivre dans sa course sans commencement ni fin, sans qu’il me parut nécessaire de croire en lui, ce dont Il ne semblait pas se formaliser le moins du monde.
Disons-le tout de suite: Dieu est chauve. Néanmoins, Il ne fait pas son âge. D’un abord agréable, Il me surprit par le peu d’emphase dont Sa Parole était chargée, la simplicité de Son maintient, la légèreté de Son regard. Bref, un homme comme vous et moi (avec un peu plus d’embonpoint que moi, tout de même!).
Nous nous tenions à un carrefour et le vent qui faisait rage à cette époque de l’année balayait l’espace où nous échangeâmes les quelques civilités d’usage. Très vite, Il me fit part de Son intention de me faire visiter quelques-uns des mondes qu’à Ses heures perdues Il avait confectionnés avec amour mais dont Il s’était vite désintéressé. Peut-être y trouverais-je matière à redire ? Mais Il ne pouvait pas m’avoir fait me déplacer pour rien. Si je voulais bien Le suivre…

C’est ainsi que je suis entré dans l’ornière divine.

*

Des îles dérivent paresseusement dans l’espace. A bord, les rêves d’une multitude de générations, fantasmes de cadavres accumulés au cours des siècles
et bien avant que les siècles soient nommés siècles
s’enlacent.
(Mon regard juxtapose et organise les horizons et plonge dans l’oblique de la réalité, mettant à nu des strates ignorées où mon incurable impatience se dilue. Où je me perds un peu parfois. Mes mots gesticulent dans l’entre de tous les mondes possibles. Je ne décris là que l’ombre chinoise d’un spectacle de chair et de sang.)
Dans un ciel sombre, chargé, la lune est un cil d’ange. Le vent en rafales, la pluie horizontale qui ne parvient pas à atteindre le sol où les fondrières sont si profondes que des peuples entiers pourraient y disparaître. Par-ci par-là, un lieu charmant, tendre, doux, tranquille. Une voiture de police passe au loin comme un bateau démâté. Quelques femmes au sexe tricolore. Quelques hommes aux membres de réverbères. Corps virevoltants d’insectes. Ce carnaval cessera-t-il un jour? Bien malin qui saurait le dire…